Comprehension and discussion in French – “Et si la vie privée était moins importante que la démocratie” (Level C)

Listening comprehension in French – Discussion in French

 

Listen

 

Transcript [find synonyms of the expressions in green]

6 mois maintenant que dure l’affaire Snowden et toujours aussi difficile de la penser globalement, philosophiquement. Le chercheur Evgueni Morozov a proposé il y a quelques semaines, dans le magazine en ligne du MIT la Technology Review, une interprétation que je vous propose parce qu’elle me semble tout à fait intéressante.

Le premier temps de sa réflexion consiste à replacer l’affaire des écoutes de la NSA dans une histoire longue. Pour Morozov, les questions d’espionnage, de surveillance et d’atteinte à la vie privée n’ont pas commencé avec les écoutes de la NSA, elles sont même consubstantielles à l’informatique. Et il ressort un texte de 1967, écrit par Paul Baran, The Future Computer Utility qui, avant Internet et même avant les ordinateurs personnels, invite à anticiper les problèmes de vie privée que va bientôt poser l’informatique. Au lieu de prendre au sérieux ces préventions, explique Morozov, on a cru aux utopies numériques des années 80 et 90 qui nous promettaient un nouveau monde émancipé du capitalisme et de la bureaucratie. Eh bien nous avons perdu 20 ans dit Morozov, 20 ans que nous avons passés dans l’hallucination collective. Et pendant qu’on hallucinait, le capitalisme et la bureaucratie, eux, s’adaptaient parfaitement au nouveau monde numérique. Et même, explique Morozov, on a vu, autour de la récolte des données, converger les intérêts de deux entités différentes : les grandes entreprises du numérique d’un côté (pour asseoir un modèle publicitaire) et les gouvernements de l’autre (pour assurer la sécurité de ses concitoyens). Avec une ambition commune : la prédiction des comportements. Pour les gouvernements, le but est d’empêcher l’acte plutôt que de devoir réparer ses conséquences. Au prix de quelques atteintes à la démocratie. Et cette manière de gouverner, par l’anticipation du comportement grâce à la récolte de donnée, manière qui permet de s’abstraire des jeux compliqués de la politique classique, a un nom « la régulation algorithmique ». C’est quand les démocraties, grâce aux informations récoltées, veulent résoudre les problèmes publics sans éprouver le besoin d’expliquer à leurs citoyens comment elles font. Pourquoi ? Parce que ce sont des algorithmes qui le font. C’est par exemple l’algorithme qui décide quel comportement ou quel individu va être considéré comme à risque, sans que l’on sache exactement comment le résultat est obtenu. C’est ça le but du système de surveillance de la NSA.

Et Morozov en arrive au second pan de sa réflexion : invoquer le respect de la vie privée est-il le meilleur moyen pour s’opposer à cette dérive technologique ? Sa réponse est très intéressante. Morozov défend l’idée que la vie privée n’est pas toujours l’agent de la démocratie, que trop de vie privée peut aussi être un obstacle à la démocratie, quand l’information partagée n’est pas suffisante pour assurer un commun. Il ne faut donc pas s’arquebouter sur cette question de la vie privée, pas en faire l’alpha et l’oméga de notre lutte contre la surveillance, mais viser plus loin, viser la démocratie.

Morozov propose trois voies :

politiser la question de la vie privée. C’est-à-dire à la fois être très vigilent sur le caractère anti-démocratique de la récolte de données mais aussi accepter plus de risque, d’audace, de tâtonnement, au nom d’une démocratie qui soit véritablement vivante (parfois moins de vie privée peut aller avec plus de démocratie)

apprendre à saboter le système : refuser de nous enregistrer, faire une sorte de boycott informationnel. La vie privée pourrait alors apparaître à nouveau comme un moyen de revivifier la démocratie : si nous voulons des espaces privés, c’est parce que nous croyons encore en notre capacité de réflexion sur les maux du monde et les moyens d’y remédier et que nous ne voulons pas laisser ce travail aux algorithmes

il faut plus de services numériques provocants. Des services qui ne se contentent pas de nous demander si nous voulons laisser un accès à nos données personnelles. Les sites devraient faire appel à notre imagination pour nous montrer les conséquences de nos actes numériques « Nous ne voulons pas un majordome électronique, nous voulons un provocateur électronique ». Politiser les applications, politiser les logiciels, politiser les interfaces.

Voilà pourquoi Morozov est toujours intéressant à lire : il est très critique des technologies, mais il est sûr qu’elles font partie de la réponse.