Reading / Comprehension in French — Practicing and discussion in French
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En prenant comme prétexte le cas de l’exil fiscal de Gérard Depardieu, les critiques tous azimuts contre le système de financement public du cinéma en France risquent d’avoir l’effet pervers et dangereux d’affaiblir un élément essentiel de notre politique culturelle.
Il s’agit pourtant d’un sujet assez singulier en politique française, qui fait l’objet d’un rare et continu consensus du rapport Guy de Carmoy en 1936 et de la loi vichyste (mais validée à la Libération) du 19 mai 1941 ; en passant par les ministères Malraux ou Lang, et jusqu’aux dispositions les plus récentes, aucun gouvernement français n’a imaginé remettre en cause notre modèle de financement public du cinéma.
Au contraire, le système a toujours été confirmé depuis l’acte fondateur le plus emblématique du mécanisme d’aides « à la française », qui trouve son origine avec les accords Blum-Byrnes du 28 mai 1946 : Léon Blum, délégué français à l’Unesco, obtient du secrétaire d’Etat américain James Francis Byrnes des facilités de paiement de la dette française contre la fin du contingentement des œuvres cinématographiques de Hollywood.
Le résultat aurait pu être dramatique pour le cinéma français, comme ce fut d’ailleurs le cas chez nombre de nos voisins – qui en subissent encore les conséquences aujourd’hui –, mais c’est justement en réaction à ce nouveau contexte d’arrivée massive de films américains que la décision fut prise de consolider notre système d’aides par la loi de 1953 et les décrets de 1956 et 1959.
Défendre la « diversité culturelle »
L’aide publique au cinéma en France résulte d’un montage astucieux et vertueux : un « autofinancement » du secteur par le biais d’une taxe sur les entrées en salle, complétée par une taxe sur les chaînes de télévision et aujourd’hui sur les fournisseurs d’accès Internet. Ainsi, les succès de productions cinématographiques audiovisuelles (hollywoodiennes comprises) en salle ou à la télévision ont permis le financement par l’Etat de films français et désormais européens ou de pays tiers.
Si le but était de défendre une industrie en danger au lancement du mécanisme, la justification du système s’est complétée sur le terrain de la politique artistique et culturelle. Le risque évident d’une globalisation de la culture dans son aspect audiovisuel a obligé les Européens à défendre la « diversité culturelle » : ces biens ne peuvent pas être considérés comme des marchandises soumises aux règles classiques du libéralisme économique, afin de maintenir une pluralité des images diffusées.
Cette règle fut longtemps considérée comme un prétexte égoïste à une protection juridique de leur seule cinématographie. Les Européens (et la France notamment, par le biais de son Centre national de la cinématographie) ont fait un effort considérable afin de faire en sorte que la diversité culturelle permette certes de protéger ses propres industries culturelles, mais également l’essor et la sauvegarde de celles de pays en difficulté et incapables d’agir seuls. Une nécessaire solidarité internationale, que prévoit d’ailleurs la convention de l’Unesco de 2005.
« Idiots utiles »
En s’en prenant aujourd’hui au financement public du cinéma français, quelques acteurs culturels jouent le rôle des « idiots utiles » de la Commission européenne, qui a décidé récemment de revenir sur les critères de territorialités en vigueur, notamment en France, et ce au nom du principe de libre concurrence.
Pire, ils font le jeu des majors hollywoodiennes et de leur puissant lobby, qui avait atténué ses attaques contre nos systèmes d’aides européens en raison de la recherche d’une coopération sur le problème principal qu’est actuellement le piratage.
L’image a toujours été un vecteur de projection et de transmission « de soi » pour les êtres humains, depuis les dessins rupestres et les peintures pariétales. Le cinéma a aujourd’hui cette même mission qui oblige à la sauvegarde de sa pluralité, et il s’agit d’un enjeu de civilisation à ne pas négliger.
Extrait: Rue89.fr